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Comment le critique peut influencer le nom de l’objet critiqué ?

Cet article a été posté par Boris dans le cadre du concours de décembre.

Comment le critique peut influencer le nom de l’objet critiqué ? (ou De l’origine des noms Daft Punk, Big Bang et autres…)

« Savez-vous qui sont les critiques ? Des hommes qui ont échoué en littérature et en art. »
Benjamin Disraeli

Le titre de l’article fait un peu sujet de thèse il est vrai, mais après tout c’est un sujet éminemment intéressant (et de toute façon, dans le domaine de la critique et des titres à rallonge, Marx restera indépassable avec son « Critique de la Critique critique contre Bruno Bauer et consorts ») !

Prenez la musique par exemple ! En 1992, une critique britannique du magazine Melody Maker qualifia la musique du petit groupe de rock français Darlin de « punk débile » [ou plutôt « timbré », si vous voulez une traduction à la lettre – ah ah, suis-je drôle), daft punk in english. Les deux compères du groupe trouve ça amusant, garde le nom en tête… et ça deviendra ce qu’on sait.

Mais en sciences, nous rencontrons également le phénomène ! En 1950, Fred Hoyle (cosmologiste, britannique lui aussi – éteignez la lumière, je crois qu’on les attire) soutenait la théorie de l’état stationnaire (c.-à-d., que l’univers est éternel et immuable), mais problème : s’opposait à lui une thèse tout aussi sérieuse (comme quoi l’expansion de l’univers naîtrait d’une « explosion »…). Alors, évidemment il critique cette fumeuse théorie, mais il sait que ça ne suffira pas : ce qu’il faut, c’est la ridiculiser ! Il se met en quête d’un mot bien idiot pour la décrire… La « Grosse explosion », the Big Bang, tiens c’est bien niais comme nom ça ! Tout content de sa trouvaille, il la lance sur la BBC. L’expression, loin d’être moquée, est tout de suite très appréciée… jusqu’à donner fièrement donner son nom à la théorie… Dommage, Fred !

Finissons cet article par les plus importants : les critiques d’art, et le champion toute catégorie : Louis Vauxcelles.
Au Salon d’Automne de 1905, il vitupère : « Au centre de la salle, un torse d’enfant et un petit buste en marbre d’Albert Marque, qui modèle avec une science délicate. La candeur de ces bustes surprend au milieu de l’orgie des tons purs : c’est Donatello parmi les fauves ! » Le bon mot est repris avec succès ; à ces tableaux aux formes étranges et aux couleurs violemment vives restera attaché le nom de « fauvisme ».

Deuxième tentative en 1908 avec cette cinglante critique des œuvres de Georges Braque : «M. Braque méprise la forme, réduit tout, sites et figures et maisons, à des schémas géométriques, à des cubes » … Le mot cubisme était né.

Et puis n’oublions pas Louis Le Roy, qui, en 1874, à propos de l’exposition qu’il venait de visiter fit cette critique acerbe dans son journal, le Charivari : «Impression, impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans», et intitule son article « L’exposition les impressionnistes ». Le nom reste. Lui, on l’oublie.

Voilà, voilà, s’il y avait une morale à l’histoire, ce serait celle ci :

« L’art est aisé, mais la critique est difficile » (sachez que la citation originale n’est pas proverbiale comme on pourrait le penser, elle est extraite de la pièce Le Glorieux (1732). Son auteur ? Philippe Néricault. C’est lui aussi qui a écrit que les absents avaient toujours tort, ou que lorsqu’on chassait le naturel, il revenait au galop).
Amis critiques, je n’aurais qu’un conseil à vous donner pour ne pas voir vos magnifiques envolées lyriques vilement détournées par l’objet honni que vous vouliez voir démoli : soyez brefs. En sachant que le record de brièveté est détenu par un certain Leonard Maltin dont la critique du film Isn’t It Romantic consistait en un mot :

« No. »

Sources : J’ai pris soin de vérifier chacune des informations, croyez moi, mais je n’en ai pas de précises, elles se perdent dans l’oubli, cet article n’étant qu’une modeste synthèse de notes prises de ci, de là depuis longtemps. Et c’est aussi un article, je crois, qui appelle à être complété ; n’avez-vous pas des exemples qui pourraient compléter le sujet ?

Bastien

Je suis le créateur de ce site et j'essaie toujours d'écrire des articles sur des sujets qui peuvent toucher le plus grand nombre de lecteurs. Je n'ai pas de domaine de prédilection, quand je me pose une question sur n'importe quel sujet, j'essaie de trouver la réponse et je la poste ici. Même si malheureusement je me fais rare sur le site, je veille au grain et je reste à l'écoute de tous les visiteurs et commentateurs donc n'hésitez pas à m'écrire.

View Comments

  • Je tiens à critiquer ton article, et je serai péremptoire. J'apprécie la richesse du vocabulaire employé. Malgré une majorité d'articles insipides, voire otieux, je trouve ici un petit brin d'air frais. Félicitation, celui-ci est clair, précis et particulièrement intéressant !

    Ah! L'art de la critique est une chose loin d'être aisée...
    Pour ceux qui tiennent à critiquer tout en ayant un semblant d'objectivisme, je leur conseillerais "L'art d'avoir toujours raison", d'A. Shopenhauer.

  • Et c’est aussi un article, je crois, qui appelle à être complété ; n’avez-vous pas des exemples qui pourraient compléter le sujet

    No !

  • Intéressant et effectivement agréable à lire. Cependant je vais m'exercer ici non pas à la critique de l'article mais au sport Marxial de la critique de la critique. On peut tout à fait être en désaccord avec un article de culture-générale.fr, mais il y a une manière de le dire. Le site se veut être convivial et, je dirai, décontracté. Les lecteurs doivent comprendre que les auteurs ne sont pas forcement des littéraires et ne possédent pas forcement de quelconques prédispositions à l'écriture. Parler d'une majorité d'articles insipides est à la fois démesuré et irrespectueux envers le travail fourni par tous les contributeurs. De même, le précédent article d'Eusebio a selon moi des défauts, mais ne mérite certainement pas la remarque caustique qui lui a été affligé. Les commentaires n'ont pas comme objectif ici d'être des défouloirs pour sautes d'humeur.

  • Je complèterais juste en disant que critiquer, contrairement à ce que certains croient, ce n'est pas dire du mal mais donner un avis.

    Or les critiques que l'on peut lire à droite à gauche dans les magazines ou voir à la télé prennent un malin plaisir à casser gratuitement.

    Dire que telle ou telle œuvre n'est pas à son goût, c'est une chose. Affirmer que c'est nul et qu'il faut être à côté de ses pompes pour l'apprécier, en essayant de culpabiliser celui qui l'aimerait, c'est à mon avis, excusez-moi du terme, très con.

  • Ah je reviens, et c'est un champ de bataille!

    @ Luciole: Je rejoins les autres commentateurs -hum, ça fait très sportif comme terme! -, le mot "insipide" est tout de même irrespectueux pour le travail fourni par les autres contributeurs!
    Sinon, je te remercie de cette aimable critique (en plus de ça, tu m'as appris le mot "otieux"!), et sache que je suis moi même un fidèle admirateur de ce grand pessimiste (et accessoirement misanthrope) qu'était Schopenhauer!
    De son "Art d'avoir..." (qu'il appelle "dialectique éristique"), que je considère plus comme un chef d'œuvre de la mauvaise foi (ça en deviendrait même comique, non?), j'avais relevé cette merveilleuse phrase:

    " Pour cela [avoir raison], le meilleur moyen est bien sûr en premier lieu d'avoir vraiment raison, mais vu la mentalité des hommes, cela n'est pas suffisant en soi, et vu la faiblesse de leur entendement ce n'est pas absolument nécessaire.

    @ Otyugh: Oh, c'est bien dommage! =(

    [ En parlant d'"insipide", j'ai appris récemment que pour dire son contraire, l'on pouvait dire le très élégant "sapide", ou encore mieux, "sade". (d'où le mot maussade, pour l'inverse - attention, faut suivre hein!) ]

  • @ everybody ^^ : toute critique est personnelle, bien entendu. Je m'attendais à ce genre de reproche. Ce n'est que votre avis, vous avez donc le droit de critiquer ma critique. J'aime la franchise, et j'en ai marre de nuancer mes propos... J'ai le mérite d'éviter toute vulgarité (encore heureux). La majorité des articles écrits sur le blog, voire la quasi totalité, sont pourtant très intéressants. (paradoxal ? Non, je dirai que mon précédent commentaire était exagéré.)

    Si je devais me justifier, je dirai simplement qu'à force d'être habitué à des articles de qualité, un article ordinaire est exposé aux critiques négatives.

  • Petite réflexion du grand Nietzsche (je l'avoue, le correcteur orthographique m'a aidé...) à propos de notre sujet:

    " Les insectes piquent, non pas par méchanceté mais parce qu’eux aussi veulent vivre. Il en est de même pour les critiques : ils veulent notre sang, non pas notre douleur."

  • Autre critique qui a donné un joli nom : le Gothique !

    A la base l'architecture dite "gothique" est en réalité l'"art de France". C'est l'art du domaine royal, lancé par Suger à Saint-Denis, vers 1135, et qui se propage dans un premier temps dans le domaine royal (Laon, Paris, Bourges, Chartres, Amiens, Reims....), d'où le nom d'"Art de France".
    C'est un art qui montre que Dieu est lumière, mais également qui montre la grandeur du roi de France (Saint-Denis est la basilique sépulcre des rois de France et Reims celle du couronnement, leur architecture montre la puissance de ces rois.

    Quand se développe cet art en Europe, par les cisterciens et les dominicains, les italiens critiquent cet art qui oublie les canons romains antiques. Il faut dire qu'en Italie les ruines continuent à servir de modèle pour l'architecture ! Les italiens qualifient donc cette architecture de "Goth",terme renvoyant aux barbares, aux envahisseurs. Ce terme qualifiait donc une architecture barbare dont il fallait se débarrasser.
    Aujourd'hui, bien que le terme gothique renvoi à une critique, il est plus largement employé que le terme "Art de France", peut être car le terme gothique ne montre pas le caractère politique de cet art ! En effet si le gothique des premiers temps très logique se développe en France, la suite du mouvement qui évolue vers moins de logique et plus d'expression des sentiments verra ses plus beaux édifices hors de France (Allemagne (Cologne) ou Italie (Saint François d'Assise) par exemple).

  • la critique permet d'avancer, de se dépasser selon le caractère de la personne critiquée. Les exmples de critiques cités par l'article (culture générale.fr) démontrent que seule les critiques venant véritablement du ressenti ouvrent une nouvelle voie à l'objet critiqué. Donc, les critiques sont bonnes quand elles permettent d'avancer ou se recueillir, se remettre en cause par rapport à son oeuvre.

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